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Système D, angoisse économique, privilèges… Comment le monde du tennis vit son confinement

Rémi Bourrières

Mis à jour 22/03/2020 à 09:29 GMT+1

Selon leur nationalité et l'endroit où ils habitent, les joueurs de tennis du monde entier vivent la situation du confinement de manière très différente. Certains continuent à s'entraîner quasi-normalement (jusqu'à quand ?), pendant que d'autres sont obligés de rivaliser d'imagination, voire de faire autre chose. Tous, quoi qu'il en soit, se posent beaucoup de questions.

Rafael Nadal of Spain reacts during his Men’s Singles Quarterfinal match against Dominic Thiem of Austria on day ten of the 2020 Australian Open

Crédit: Getty Images

En ce moment, Gaël Monfils enchaîne les sets et Corentin Moutet les slams. Mais ça n'a rien à voir avec le tennis. Ils le font sur les réseaux sociaux, coupés comme tout le monde (ou presque) de leur métier principal.
Depuis l'éclatement de la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus et la situation de confinement décrétée dans des pays de plus en plus nombreux, les joueurs de tennis participent avec la même assiduité que les autres au sport national – et même international – du moment : comment garder la forme en restant chez soi, un besoin pour bon nombre de citoyens, une nécessité absolue pour les sportifs, en attendant le "go" pour la reprise, prévue pour l'instant au 7 juin pour les circuits ATP et WTA. Une date que d'aucuns savent pour l'instant très hypothétique, sans visibilité sur l'évolution de la pandémie.
Sur ce plan, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Comme souvent, il y a des joueurs plus privilégiés que d'autres. Sauf que le privilège, cette fois, a moins à voir avec le statut qu'avec la nationalité.

En Floride, on s'entraîne encore

En Espagne, où la situation est extrêmement difficile, Rafael Nadal est par exemple totalement bloqué chez lui, à Porto Cristo, non loin de Manacor, où son académie est (comme tous les clubs) fermée. "Comme il habite en appartement, il ne peut rien faire actuellement à part des petits exercices d'entretien en intérieur", comme nous l'a confié son agent, Benito Perez-Barbadillo, qui se trouve pour sa part à Miami, où il a pu constater que beaucoup de joueurs continuent en revanche à s'entraîner normalement dans les nombreuses académies qui s'y trouvent, le confinement n'ayant pas encore gagné la Floride.
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Nadal

Crédit: Getty Images

Le Canadien Felix Auger-Aliassime y était d'ailleurs récemment. "Il vient de rentrer au Canada et doit actuellement respecter une quarantaine de quatorze jours, comme c'est la règle là-bas pour tous les gens qui reviennent de l'étranger, explique ainsi son entraîneur français Frédéric Fontang, rentré pour sa part en France. Pour l'instant, le CNE canadien est fermé mais il est prévu qu'il rouvre ses portes début avril pour les joueurs professionnels. A partir de là, Félix devrait donc pouvoir se ré-entraîner normalement." Sauf si la situation change d'ici là au Canada, ce qui est malheureusement possible, sinon probable.
La tenue de Wimbledon s'annonce compliquée, et les JO, je pense que c'est mort aussi
L'imprévisibilité est de toute façon la règle pour tout le monde, de même que la faculté d'adaptation. C'est d'autant plus vrai pour les joueurs français que tous ont des situations bien différentes. "Entre quelqu'un qui est confiné dans un appartement de 30 mètres carrés à Paris et celui qui a un grand jardin ou une salle de sport chez lui, le confinement ne se vit pas de la même manière !, comme le dit Paul Quétin, préparateur physique des équipes de France. Je suis en lien avec de nombreux joueurs que j'essaie de conseiller au mieux selon leur situation. Mais il est impossible d'établir un programme précis dans la mesure où l'on n'a aucune visibilité sur la reprise."
A priori, celle-ci n'est pas pour demain ni même après-demain, selon Quétin. Il va donc falloir apprendre à gérer cette situation sur la durée : "D'après les échos que j'ai, la tenue de Wimbledon s'annonce compliquée, et les JO, je pense que c'est mort aussi. A mon avis, on s'oriente vers une reprise en août avec la tournée US, puis Roland Garros en septembre et la saison indoor qui devrait se prolonger jusqu'en décembre. Mais l'on n'en sait rien. Le but est donc simplement de se maintenir en forme, ne pas prendre 10 kilos. Et surtout, le mot d'ordre, c'est de se protéger, prendre soin des autres."
Seul avantage de cette situation : les joueurs ont enfin du temps pour se ressourcer et faire des choses pour eux. Au gré de leur créativité, ils ne s'en privent pas, à l'image de Corentin Moutet, qui s'essaie – avec brio - à des impros de rap quotidiens sur instagram, même s'il n'en a pas oublié de commander du matériel de fitness pour chez lui.

Imprévisibilité totale

A l'image également de Caroline Garcia, coincée elle aussi à Majorque, où elle était censée s'entraîner à l'académie de Rafael Nadal. "Pour l'instant, l'activité physique est réduite au minimum, quelques exercices d'entretien et de prévention tout au plus, nous a fait savoir son père et entraîneur, Louis-Paul Garcia. C'est difficile d'évaluer combien de temps cette situation va perdurer. L'imprévisibilité est totale, dans un monde habituellement si planifié. Alors on en profite pour prendre du recul, vivre l'instant, prendre des nouvelles de nos proches et faire des activités que l'on n'a pas le temps de faire en temps normal. Une expérience de vie à méditer !"
Coincés également, les nombreux joueurs basés près de Roland-Garros, comme Richard Gasquet ou Nicolas Mahut, qui s'est exprimé auprès du site So Tennis : "La seule chose que je peux faire, c’est d’aller courir au bois de Boulogne, à côté de chez moi. J’ai une sortie tous les deux jours, avec du travail de gainage, de musculation que je peux faire depuis chez moi, et un petit travail de corde à sauter."
A côté de ça, certains ont trouvé le bon filon comme Lucas Pouille, qui a eu la bonne idée de louer une maison avec un terrain privé à Valbonne, dans le Sud de la France, où il peut pour l'instant continuer à jouer avec son pote Grégoire Barrère, confiné avec lui. "J’ai bien senti qu’il fallait faire vite, j’ai eu du flair, a déclaré l'ancien demi-finaliste de l'Open d'Australie à Francetvinfo. On tape la balle, on garde les sensations, c'est surtout de l’entretien. Le but, c'est de ne pas tout perdre pour être prêt quand il faudra reprendre l’entraînement intensif." D'autres ont également pu trouver à temps un court privé, comme Ugo Humbert, voire ont carrément un court chez eux, comme Fiona Ferro ou Alexandre Müller. Pas sûr toutefois qu'ils puissent en bénéficier longtemps, l'heure étant de plus en plus à la fermeture des infrastructures sportives privées.

Federer et Djokovic discrets

Les joueurs basés en Suisse, eux, ont l'avantage d'avoir davantage d'espaces verts à proximité et une politique de confinement pour l'heure moins stricte, ce qui leur permet de conserver avec parcimonie des activités en extérieur. Au micro de Charlotte Gabas pour BeIn Sports, Pierre-Hugues Herbert expliquait ainsi avoir pu récemment faire une randonnée, tandis que Gaël Monfils ou Stan Wawrinka ne sont pas avares de "posts" d'exercices improvisés au grand air.
Très discret sur la manière dont il traverse cette période, à l'image de Novak Djokovic, Roger Federer a néanmoins posté vendredi sur son compte instagram une vidéo tournée en extérieur, sur fond de montagnes enneigées (Valbella ?). Vidéo dans laquelle il explique toutefois rester autant que possible à la maison, à l'image de Jo-Wilfried Tsonga, qui s'entretient dans sa salle de gym privée.
Bref, chacun vit ça comme il le peut et une chose est quasiment certaine : quand la reprise sifflera, le plus tôt possible on l'espère, les disparités risquent d'être importantes entre les joueurs. "Certains vont avoir du mal à remettre le moteur en route, peut-être même caler", comme le disait Fabrice Santoro, également au micro de Charlotte Gabas. La question de l'équité sportive paraît toutefois bien futile en comparaison de la gravité de la crise sanitaire, mais également de la crise économique traversée par nombre d'acteurs du tennis.

Pour la plupart, économiquement, la situation actuelle est un désastre

Thierry Ascione, directeur de la All In Academy et par ailleurs propriétaire de l'ATP 250 de Lyon, qui fait partie des tournois annulés, en sait quelque chose. "Tous les jours, en plus du suivi de la préparation des joueurs, je suis avec des comptables et des juristes pour savoir comment on va pouvoir limiter les dégâts économiquement. C'est très difficile et c'est d'autant plus dur à vivre que tous les gens avec qui je travaille, que ce soit à l'académie ou pour le tournoi de Lyon, sont des amis. Tout le monde va devoir faire de gros efforts financiers. J'ai régulièrement des joueurs et des coaches au téléphone qui sont très inquiets."
L'ancien 81e mondial, qui s'est positionné, sans grand espoir, pour décaler son tournoi lors de la semaine (pour l'instant) libre mi-septembre entre l'US Open et Roland-Garros, estime qu'il serait une mauvaise idée de décaler au maximum la reprise du circuit après la fin du confinement, afin justement de laisser le temps à tout le monde de se ré-entraîner correctement.
"Au contraire, les joueurs vont vouloir reprendre le plus vite possible, parce que c'est une nécessité financière, estime Ascione. Il faut se rendre compte que pour la plupart, économiquement, la situation actuelle est un désastre. C'est une véritable épreuve mentale qu'ils sont en train de vivre et à mon avis, ce sont surtout ceux qui vont le mieux gérer cette pression qui seront les plus forts à la reprise."
De là, peut-être, à envisager un bouleversement – temporaire – de la hiérarchie à la reprise ? Ce serait là une conséquence bien inattendue du Covid-19. Et franchement pas la plus grave.
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